Dans le détroit de l’Hellespont, deux villes se font face : Sestos sur la péninsule de Chersonèse en Thrace et Abydos, en terre de Mysie. Deux rives comme deux mondes que les festivités en hommage aux dieux et aux déesses grecques arrivent à réunir quelquefois l’an.
C’est à l’occasion des fêtes d’Adonis, le magnifique amant d’Aphrodite que le jeune Léandre, traverse les eaux du chenal, pour se rendre à Sestos, avec quelques camarades, afin d’assister aux rituels. Ici vivent les prêtresses de la Déesse de la beauté et de l’amour, toutes vouées à la virginité afin de ne point faire d’ombre à leur auguste maîtresse.
Parmi elles figure la sublime Héro, à la chevelure de miel et au teint d’albâtre. Lorsque son regard croise celui de Léandre, un amour réciproque et intense les saisit. Alors que tout semble éloigner les jeunes gens, la force de cet amour leur permettra de transcender les barrières de leurs origines et de leurs rangs, jusqu’à ce que la foudre des dieux s’en mêle.
Dans les profondeurs de la nuit, où rien ne le trahit, Léandre traverse à la nage les eaux qui le séparent de sa bien-aimée. Improvisant un phare de fortune, du haut de sa tour, Héro le guide à la lueur d’une lanterne. Un ballet amoureux qui durera l’été et puis l’automne, malgré la mer se faisant de plus en plus froide. Chaque matin, Léandre nage dans l’autre sens pour rentrer chez lui et ne pas éveiller les soupçons. Mais le mauvais temps se lève au seuil de l’hiver. Les éléments se déchaînent, les vagues se fracassent sur les rives, le vent est glacé. Léandre résiste quelque temps, mais Héro, le supplie de venir dans chaque message qu’elle lui fait porter. Une nuit où la tempête fait rage, Léandre se jette à l’eau, suspendue au flambeau de Héro vacillant au loin, qui finit par s’éteindre, terrassé par les bourrasques.
Perdu et ballotté par les flots, Léandre est englouti dans la rage de la mer. Toute la nuit Héro l’a attendue, rallumant aussi souvent que possible sa lanterne qui s’éteignait aussitôt. Lorsque le jour se lève, elle aperçoit au loin, sur les récifs, le corps disloqué de son amant. Fauchée par le désespoir, elle se précipite dans le vide, et rejoint Léandre dans sa dernière demeure, s’unissant avec lui une ultime fois. Le sceau de l’éternité marque cette histoire qui en inspira de nombreuses en littérature sous le thème de l’impossible amour : Tristan et Yseult, Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard.
Les peintres l’illustrèrent également à merveille. Tout cet amour et l’audace qu’il engendra sont représentés dans des tableaux de Jean Joseph Taillasson, Tuner, Rubens, Chasseriau. Des œuvres qui témoignent de cette tragédie antique magnifiée par la distance entre ses protagonistes. L’on sait finalement très peu de choses sur Héro et Léandre excepté cet amour, sans doute puni pour avoir transcendé les interdits et bafoué les règles édictées par Aphrodite. Une Aphrodite régnant sur la destinée de l’amour, le provoquant, le destituant, le blâmant lorsqu’il ne lui convenait guère et l’incitant ailleurs à sa guise.
Issu de la mythologie grecque, la poésie de cette légende a traversé le temps, imprégnant de sa malédiction le Bosphore et son étroit chenal, entre Europe et Asie.